Dimanche 7 février à 10h au nouveau cimetière,
Devant la tombe de Fanny Dewerpe
Hommage à Fanny Dewerpe et aux neuf victimes de la répression du 8 février 1962 au métro Charonne lors de la manifestation contre l’OAS et la guerre en Algérie.
Allocution de Dominique Dellac, conseillère départementale.
Fanny Dewerpe, 31 ans, secrétaire, morte au métro Charonne le 8 février 1962 pour avoir bravé l’interdiction de manifester contre les attentats sanglants perpétrés impunément par l’Organisation Armée Secrète en plein Paris ; pour avoir porté l’exigence de la fin de la guerre d’Algérie et d’une Algérie indépendante.
A 19h30, les 3 cortèges qui venaient de fusionner place Léon-Blum et au carrefour Voltaire-Charonne, sont appelés à se disperser.
A 19h35, les CRS chargent. L’ordre de réprimer cette manifestation vient d’en haut : le préfet de police de Paris, Maurice Papon, avec la caution de Roger Frey, ministre de l'Intérieur, et du président de la République, Charles de Gaulle.
Témoignages
« Nous étions dix à tenter de dégager les portes, de l'intérieur de la station. Tout à coup, nous avons vu voler les morceaux de grilles d'arbres. Les corps étaient atrocement emmêlés. Quand nous avons pu dégager le bas des marches, il y en avait cinq inertes - dont trois corps de femmes et un gars qui semblait mort. Les flics sont alors revenus nous balancer leurs grenades, et il a fallu descendre une vingtaine de corps sur le quai du métro. Cela avait duré un quart d'heure à vingt minutes." témoigne un manifestant.
"Sans pouvoir avancer ni reculer, raconte une femme prise au piège du métro, j'ai vu des policiers choisir des victimes en tournant autour des balustrades. J'ai même vu l'un d'entre eux casser sa longue matraque sur la tête d'une femme, puis enfoncer le bout taillé en biseau dans le crâne d'un homme et s'y attarder, le malheureux ne pouvant ni se déplacer, ni se protéger. Quatre fois, ils ont lancé en travers des morceaux de grille d'arbre, là où il y avait le plus de monde entassé. Je tenais dans ma main un visage méconnaissable de femme. Cela a duré dix minutes. Vingt minutes de plus, nous y passions tous."
Moins de 4 mois avant, le 17 octobre 1961, c’est les corps de centaines d’Algériens, d’Algériennes qui sont repêchés dans la Seine. Et cinq semaines après, le 18 mars 1962, c’est la signature des accords d’Evian. Ce massacre d’Etat, pour reprendre les mots du fils de Fanny Dewerpe, Alain, n’est-il pas un gage donné aux milieux d'extrême-droite très influents dans l'armée et dans la police ? Laisser faire la tuerie pour rassurer. Il écrit : « L'équation finale se résumerait à ceci : le massacre contre le putsch. »
Fanny, nous sommes maintenant ta seule famille. Et nous sommes là .
Car ton fils, Alain, nous a quitté en avril dernier, à 62 ans.
Né en septembre 1952, il n’a jamais connu son père décédé quelques mois plus tôt, en mai de cette même année lors de la répression policière d’une manifestation contre la venue en France du général américain Matthew Ridgway.
En 2006, avec Charonne, 8 février 1962, Alain Dewerpe, directeur d’études à l’EHESS, historien reconnu du travail et de l’industrialisation, signait une « œuvre magistrale », selon les termes du journal Le Monde. Sous-titrée Anthropologie historique d’un massacre d’Etat, l’ouvrage porte sur la répression policière de la manifestation. « Si être le fils d’une martyre de Charonne ne donne aucune lucidité, il n’interdit pas de faire son métier d’historien » écrivait-il.
Nous sommes donc aujourd’hui ta seule famille. Celle qui se souvient et celle qui continue à se battre. Nous sommes aujourd’hui tes héritières et tes héritiers.
Si la situation d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, il nous faut revenir sur ce que nous vivons depuis les sombres massacres de janvier puis de novembre 2015.
L’Etat d’urgence porte en effet la marque de la guerre d’Algérie, pendant laquelle elle fut conçue et appliquée - d’abord en Algérie en 1958, puis en France entre 1961 et 1963. Mais aussi et encore en Nouvelle-Calédonie en 1985 et en France en 2005 après que la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois ait embrasé les cités des quartiers populaires.
Deux ans plus tard, en 2007, Sylvie Thénault, chercheuse, publiait « L'état d'urgence (1955-2005). De l'Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d'une loi. »
« Cette loi coloniale, écrivait-elle, conçue pour répondre aux insurrections indépendantistes, est aussi une loi de répression politique, lorsque la République doit faire face à ses « ennemis », depuis les « hors la loi » de la période révolutionnaire jusqu’aux communistes au XXe siècle ».
Le Mouvement Social 2007.
Etat d’urgence et répression vont de pair. En 1962 comme aujourd’hui.