Jaurès en notre temps
Jaurès fut assassiné le 31 juillet 1914 par Raoul Villain, cela fait maintenant 100 ans, mais depuis son spectre hante notre histoire.
Villain, ce proche des milieux monarchistes et d’extrême-droite voulait tuer celui qui s’opposait avec force au déchaînement de la guerre et de ses atrocités, il a tué celui qui était l’espoir d’un règlement pacifique du conflit
Jaurès aujourd’hui est pour nous le symbole de la lutte contre la guerre, contre les guerres, il est aussi celui qui s’empara de la question sociale pour faire de la République le régime de tous par tous, le socialisme.
Et pourtant, cela n’était pas si évident car Jaurès aurait pu avoir un tout autre destin.
Jaurès est né en 1859 à Castres dans une famille de la petite-bourgeoisie, quelque peu déclassée par un retour à la terre. Mais il disposait d’appuis et de soutiens dans les milieux républicains ;
Elève particulièrement intelligent, il intègre l’école normale supérieure, il est le meilleur de sa génération et est promis à un brillant avenir au sein de l’élite républicaine.
En 1885, il est élu député à 26 ans, le plus jeune de la Chambre. SSes premiers engagements le sont à coté de Jules Ferry et des républicains modérés, il est alors moins à gauche que Clémenceau qui par exemple condamne la colonisation.
Mais Jaurès est un républicain sincère qui croit à la Raison, qui cherche à analyser les événements et qui va les vivre et les affronter avec courage et même courage physique.
En 1892, il est scandalisé quand le propriétaire de la mine de Carmaux veut renvoyer un de ses ouvriers qui a été élu maire de Carmaux contre son gendre. Jaurès se lance dans cettegrande campagne de mobilisation pour obtenir la réintégration, fait le lien avec Paris, intervient dans la presse et gagne.
Il gagne d’ailleurs l’élection législative partielle qui suit immédiatement ce qui fut le premier affrontement de classe pour cet enfant de la République, il est à nouveau élu lors des nouvelles élections générales de 1893.
A partir de cette date, il s’engage de plus en plus dans le camp du socialisme et de la classe ouvrière, il démultiplie son activité journalistique, est présent partout pour soutenir la cause de ceux qui travaillent. C’est ainsi qu’en 1896, il soutient les verriers d’Albi et apporte tout son soutien à la création de leur coopérative.
Mais il est aussi l’homme de la lutte contre toutes les injustices. En 1898, il s’engage dans la défense de Dreyfus accusé et condamné parce que juif. Jaurès ne fut pas le premier de ses soutiens et a cru comme beaucoup à sa culpabilité, mais devant les faits il s’engage à fond et intervient à l’Assemblée et c’est lui qui relancera plus tard la mobilisation pour obtenir l’annulation du jugement car il ne voulait pas se contenter d’une grâce octroyée d’en haut. « Je ne vous oublierai pas avait-t-il dit à Dreyfus », il tint une nouvelle fois sa promesse.
C’est à propos de l’affaire Dreyfus et de la place que devait tenir la campagne de mobilisation dans l’action des socialistes que Jaurès débat avec Jules Guesde, l’autre grand dirigeant socialiste de l’époque. Fallait-il que les socialistes s’engagent dans la défense de ce Dreyfus issu des milieux bourgeois et militaires ? Ou fallait-il donner la priorité seulement à la question sociale ? Pour Jaurès, le socialisme était l’accomplissement de la justice, il ne fallait donc accepter aucune injustice. Malgré leurs désaccords, sous les auspices de l’Internationale socialiste, Guesde et Jaurès engageront l’unification de tous les courants socialistes pour créer la SFIO en 1905.
Il est aussi un des principaux artisans de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et quoi qu’on en dise parfois fonde aujourd’hui notre vivre ensemble, il sut là trouver la voie d’un compromis mais d’un compromis de progrès, une loi qui permette à tous de se retrouver dans le respect de la liberté de conscience et de la neutralité de l’Etat en matière religieuse. Oui Jaurès avait le sens du compromis mais à l’inverse de ce que l’on peut entendre dans la voix de nos gouvernants, ce n’était pas pour accepter ou faire accepter des régressions sociales mais bien pour changer la société avec toujours cette visée progressiste chevillée au corps.
En 1910, il œuvre ainsi pour les retraites ouvrières premiers pas vers une sécurité sociale. S’il n’a jamais participé au pouvoir il a toujours pensé que les révolutionnaires devaient prendre toute leur responsabilité mais à condition d’aller vers du mieux et non pour accepter les pires reculs au nom du réalisme et de l’impuissance politique. Ces réformes, il les rattache donc à un horizon, pour lui ce sont des réformes révolutionnaires qui préparent et introduisent même au sein du captalisme des formes de socialisme, de communisme.
Et quand Jaurès perd des élections, il n’en rabat pas pour gagner la fois d’après. C’est un homme de convictions et ce sont elles qui fondent son engagement.
Mais Jaurès n’est pas qu’un parlementaire, il est aussi un journaliste engagé, de plus en plus engagé de la Dépêche du midi, de la petite République à l’Humanité qu’il fonde en 1904.
L’Humanité, son journal, notre journal qu’il veut socialiste et indépendant et qui lui permettra d’intervenir dans tous les débats et surtout ceux de la paix et de la guerre.
Alors suffirait-il aujourd’hui de revenir à Jaurès ?
Observons d’abord qu’à gauche, ils ne sont plus très nombreux ceux qui au parti socialiste s’en réclament. Le Président et le premier ministre n’en font pas leur principale référence, lui préférant Clémenceau mais le Clémenceau de la répression antisociale et du jusqu’au boutisme guerrier.
Pour les communistes, Jaurès reste une référence majeure :
Nous y voyons d’abord la morale en politique quand celle-ci est souvent disqualifiée aux yeux de nos concitoyens par les affaires, : exemples : Cahuzac, Sarkozy…
Nous y voyons le combattant pour la paix quand la guerre redevient le moyen d’assurer les intérêts impérialistes dans le monde : exemples : Ukraine, Palestine…
Nous y voyons le champion de la justice sociale alors qu’aujourd’hui toute réforme est symbole de régression sociale : exemples : pacte de responsabilité…
Nous y voyons le journaliste méticuleux et des grandes causes qui a fondé notre indispensable journal
Nous y voyons le militant de chaque instant jusqu’à mourir pour ses idées.
A Montfermeil aussi le nom de Jaurès a indisposé. C’est le 13 mars 1937, que le conseil municipal de Front populaire élu le 9 août 1936 donne le nom de Jean Jaurès à l’avenue du Château.
Avec la guerre et l’occupation, le nouveau pouvoir s’attache à effacer toute trace, même symbolique, du Front Populaire. C’est ainsi que le 26 décembre 1940, la Délégation Spéciale installée par le gouvernement du maréchal Pétain décide de procéder à la modification de la dénomination de certaines rues.
"La délégation,
- Considérant que des modifications ont été apportées ces dernières années dans la dénomination de certaines rues portant le nom de communes voisines,
- Considérant que ces modifications ne paraissent nullement fondées et qu’il est au contraire tout indiqué de laisser à certaines rues le nom de communes voisines, pour en faire reconnaître la direction,
- Décide : les voies publiques ci-après reprendront chacune leur ancienne dénomination à savoir :
- Rue de Chelles (anciennement rue Paul Vaillant Couturier),
- Grande Rue (anciennement rue Henri Barbusse),
- Rue de Gagny (anciennement rue Roger Salengro),
- Rue de Livry (anciennement rue Paul Bert),
- Avenue du Château, (anciennement avenue Jean Jaurès). »
Certes ni l’avenue du Château, ni la Grande Rue n’indiquent le chemin d’une commune voisine, mais qu’importe puisque tel n’est pas l’objectif réel du retour aux anciens noms.
La guerre s’achève et le 10 octobre 1944, le conseil municipal provisoire, constitué de toutes les tendances de la Résistance, annule la délibération de 1940.
La droite n’osera pas s’en prendre de nouveau à Jaurès mais éliminera Paul Vaillant Couturier et Roger Salengro pour les remplacer par de Gaulle et Leclerc en 1948, tout comme elle rayera le nom de Salvador Allende en 1986.
La droite hait les hommes qui défendent l’émancipation sociale et la liberté. Quand ils sont trop grands pour elle, elle rêve alors de les récupérer : Guy Môquet hier, Jaurès aujourd’hui. Pitoyable.
Alors bien sûr, le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de Jaurès. Mais nous avons besoin d’inscrire le combat pour l’émancipation humaine dans un récit et ce récit passe par la mémoire ineffaçable de Jaurès. Il fut l'honneur de la gauche, l’honneur du socialisme et au moment où ces mots deviennent des gros mots, il faut les répéter sans relâche.
Nous les communistes, nous en sommes les continuateurs, pas que de Jaurès évidemment mais de Jaurès aussi.