Le site du Front de gauche de Montfermeil cesse de fonctionner. L'ensemble des articles et documents seront toujours visibles en consultation sur le site du PCF Montfermeil.

Dans mon quartier

Dans mon quartier, c’est bien. Y a tout dans mon quartier. D’abord y a mon école, c’est une école maternelle car je suis petit. J’y vais avec Marie-Claude ma cousine qui est encore plus petite. Je la défends parce que je suis un garçon et que je suis grand. Y en a un je l’ai fait tournoyer en l’agrippant par sa blouse. Quand je l’ai lâché, il a fini sa valse sur le ciment et a pleuré. A la cantine y a du poisson. Je n’aime pas quand y a de la peau noire dedans, alors je le jette très loin sous la grande table avec ma fourchette. Une fois c’est mon voisin d’en face qui s’est fait crier par la maitresse. Le poisson était arrivé jusqu’à ses pieds. Je ne savais quoi dire, alors je n’ai rien dit.

Au tableau la maîtresse a dessiné une biche pour apprendre une récitation et on récite tous ensemble: La biche brame au clair de lune, son petit faon délicieux a disparu dans la nuit brune…

Mémé vient nous chercher et on s’arrête à la boulangerie de la petite place. Pain au chocolat, aux raisins, chausson aux pommes, on choisit, ce n’est pas tous les jours! Mais tous les jours pain pour le repas du soir. Dans ma rue y a des vitrines. Surtout celle de Madame Aline. C’est la marchande de jouets. Avec Marie-Claude on se dit que lorsqu’on sera grands on aura une boutique pareille et qu’on pourra jouer toute la journée. Les grands cela les fait rire mais moi je sais que je serai cap' de jouer toute ma vie. A côté c’est Madame Chabriac, elle c’est la marchande de journaux, j’y vais chercher le journal de pépère. Y a aussi monsieur Expert, il est tout noir, c’est le charbonnier qui vient nous livrer dans les étages de l’anthracite, que ça salit partout. Mais que c’est bon d’être assis sur le parquet près de la chaleur qui vous chauffe trop devant et pas assez derrière, à regarder les boulets rougir dans la grille de cheminée qu’on dirait qu’ils respirent, qu’ils sont vivants. 

Tout ça c’est dans ma rue. Y a plein d’autres trucs dans ma rue. La marchande de glace qui ne travaille que l’été. Lucienne l’épicière qui vient parfois chez nous prendre le café avec mémé. Et puis il y a le bistrot qui fait l’angle. Il sort ses tables le 14 Juillet. C’est bien le 14 Juillet, on danse dans la rue avec un accordéon et y a pas d’école. Y aussi le coiffeur, mais lui on y va plus depuis que j’ai dit à maman et mémé que lorsqu’il me coupait les cheveux, il écrasait son zizi sur mon genou et devenait tout rouge. 

Dans mon quartier y a un palais. Si, si, un vrai palais, de vrai de vrai. Même que c’est marqué dessus, tout en lettres de faïences de couleurs comme dans le métro. C’est le «Palais de la Femme ». « Tu n'as pas le droit d’y entrer parce que tu n’es pas une femme » m'a dit mémé. C’est quand même bien mystérieux les femmes que je me pense et elles en ont de la chance d’avoir un palais pour elles toutes seules.

Mon métro, c’est le métro Charonne, c’est un très beau métro avec des marches où y a des p’tits trucs qui scintillent dedans et puis on passe sous de grosses ampoules bombées qui me font penser à des gougouttes de dames. On entre dedans et c’est chaud comme l’haleine de Marie-Claude quant elle me parle tout bas, et si on continue jusqu’au quai, on entend les grillons.

Comme le jeudi y a pas école, le mercredi soir on va au cinéma. J’adore le cinéma. C’est une haleine différente du métro, c’est une haleine avec du velours dedans, mais y a pas d’erreur c’est une vraie haleine. Au ciné ça commence par le documentaire. On apprend plein de choses. Quand apparait le coq qui fait de supers cocoricos on sait que c’est les actualités. C’est sérieux les actualités, la preuve c’est que c’est en noir et blanc. On y voit tout ce qui se passe de bien en France. On est un sacré pays. Et puis y a la publicité avec Jean Mineur qui nous explique comment on va être content et heureux d’acheter plein de trucs. Mais c’est surtout pour les grands sauf à Noël. Ensuite c’est l’annonce des attractions. L’attraction, cela peut être une chanteuse, un magicien, un qui dit des trucs rigolos. Une fois y a eu un équilibriste. Une dame dont on voyait la culotte tellement la jupe avec des plumes était courte lui passait des chaises et des bouteilles. Une chaise, des bouteilles, une chaise des bouteilles... Lui était grimpé au dessus de cette tour. Plus il y avait de chaises et de bouteilles et plus il était haut. Jusqu’au moment où ce con s’est cassé la gueule! et la tour avec ! (je dis « con » et « gueule » parce que mémé n’est pas là. Sinon je n’ai pas le droit). Résultat, j’ai retrouvé un gros caillou vert bouteille entre ma cuisse et ma culotte courte. Ca m’apprendra à coincer mes genoux contre le dossier de la banquette de devant.

Et enfin le GRAND film. C’est vrai que c’est grand (et long) un grand film, un peu comme les grandes vacances.

Le ciné le plus  près de chez moi, C’est le « SAVOIE", il est sur le boulevard Voltaire. Plus loin, le boulevard prend une haleine de chocolat à cause de l’usine Suchard. On arrive place Voltaire et c’est le « VOLTAIRE" en continuant on arrive au « BATACLAN". Au BATACLAN, j’y ai vu une fois un film qui m’a fichu une sacrée trouille. C’était un bonhomme qui n’arrêtait pas de grandir et moi je n’ai pas arrêté de ne pas dormir cette nuit là.

Y a plein de choses à raconter sur mon quartier. Parait que c'est un très vieux quartier et je l’aime. On y est heureux. Maman dit que pendant la guerre le tiers de sa classe a disparu parce que c’était des Juifs et qu’ils sont tous morts.

Ca, c’était avant. Avant on tuait des gens. Plus maintenant. On ne meurt pas dans mon quartier.

Alain de Montf'

 

logo bas Copyright 2019 - reproduction interdite