L’heure n’est pas à l’oubli

      Commentaires fermés sur L’heure n’est pas à l’oubli

Comme chaque année, les communistes de Montfermeil ont commémoré l’assassinat de Daniel Perdrigé, maire de Montfermeil fusillé par les Allemands le 15 décembre 1941. Une cérémonie nécessaire à l’heure où, comme l’a fait remarquer Pierre Girault, « l’histoire est insultée » par la banalisation de propos et d’actes qui rappellent les heures sombres de notre Histoire.

Il y a 80 ans, Daniel Perdrigé, maire de Montfermeil, était fusillé (Discours de Pierre Girault)

Dans l’Humanité Dimanche du 4 décembre, Bernard Frédérick rappelait le contexte dans lequel ont eu lieu les exécutions du 15 décembre 1941. Dès le 15 août 1941, le commandement militaire allemand en France (MBF) avait menacé de la peine capitale tous ceux qui se rendraient coupables de « menées communistes ». Le processus de radicalisation de la répression allemande en France occupée ainsi que son orientation politico-raciste se sont manifestés très nettement avant la vague d’attentats individuels inaugurée, le 21 août 1941, par Pierre Georges, le futur Colonel Fabien, avec l’assassinat de l’aspirant de marine Moser et, à bien des égards, avant même le déclenchement encore hésitant de la lutte armée communiste au début du mois de juillet 1941.

Le MBF annonce « qu’à partir du 23 août, tous les Français mis en état d’arrestation, que ce soit par les autorités allemandes en France, ou qui sont arrêtés par les Français pour les Allemands, sont considérés comme otages. En cas de nouvel acte, un nombre d’otages, correspondant à la gravité de l’acte commis, sera fusillé. (…) Pour le choix des personnes dont l’exécution est proposée, il y a lieu de veiller qu’elles appartiennent (sic), autant que possible, à l’entourage des auteurs identifiés ou présumés des attentats ».

Le 16 septembre, à la demande d’Hitler, le chef du Haut Commandement militaire allemand fixe par décret le ratio à 50 ou 100 communistes exécutés pour un soldat allemand tué.

Les critères de sélection sont simplissimes : les communistes. Pour la première fois, en décembre 1941, on y ajoute les juifs, en précisant cependant, « des juifs, et parmi eux essentiellement des juifs communistes connus ». Et ce sera le cas, puisque, sur les 53 détenus juifs extraits du camp de Drancy pour être fusillés au Mont-Valérien le 15 décembre 1941, la grande majorité sont des militants communistes, membres pour certains de l’Organisation spéciale (OS), des Bataillons de la jeunesse ou de la section juive du PCF clandestine ou anciens des Brigades en Espagne.

Dans l’esprit des Allemands, les exécutions d’otages devaient à la fois faire peur et soulever l’indignation des Français face aux « crimes » des « judéo-bolcheviques ». Ce fut le contraire. Dans un rapport daté du 27 décembre 1941, quelques jours après les exécutions de la mi-décembre, on peut lire que « devant cette situation, les dirigeants communistes ont décidé de réagir énergiquement et d’exploiter au maximum l’indignation de la population. (…) Ils vont (…) tenter d’entraîner tous les Français à s’associer à leur action terroriste en les incitant à venger les victimes innocentes de la répression allemande et à venger les assassins. Cette propagande risque de trouver des échos favorables dans les milieux sociaux en raison du mécontentement et de l’hostilité que provoquent les méthodes de répression des autorités allemandes, et il faut s’attendre à une recrudescence des actes de terrorisme ».

Le Mont-Valérien, situé à Suresnes au sud-ouest de Paris, est devenu, dès le mois de juin 1941, le principal lieu d’exécution en France.

Le 14 décembre 1941, le chef du commandement militaire allemand en France, installé à l’hôtel Majestic à Paris, a fait placarder sur les murs un « avis » :

«  Ces dernières semaines, des attentats à la dynamite et au revolver ont de nouveau été commis contre des membres de l’Armée allemande. Ces attentats ont pour auteurs des éléments, parfois même jeunes, à la solde des Anglo-Saxons, des juifs et des bolcheviques et agissant selon les mots d’ordre infâmes de ceux-ci. Des soldats allemands ont été assassinés dans le dos et blessés. En aucun cas, les assassins n’ont été arrêtés.

Pour frapper les véritables auteurs de ces lâches attentats, j’ai ordonné l’exécution immédiate des mesures suivantes :

I. Une amende d’un milliard de francs est imposée aux juifs des territoires français occupés ;

II. Un grand nombre d’éléments criminels judéo-bolcheviques seront déportés aux travaux forcés à l’Est. Outre les mesures qui me paraissent nécessaires selon le cas, d’autres déportations seront envisagées sur une grande échelle si de nouveaux attentats venaient à être commis ;

III. Cent juifs, communistes et anarchistes, qui ont des rapports certains avec les auteurs des attentats, seront fusillés ».

Au total, d’après le dictionnaire des fusillés  du « Maitron », sur les 243 otages qui tombèrent de septembre à décembre 1941, on recense 154 communistes non juifs, 56 juifs, dont une majorité de communistes, 17 considérés comme gaullistes, 4 reconnus coupables de violences contre des soldats, 5 pour détention illégale d’armes.

Les fusillades du 15 décembre 1941, si elles étaient nouvelles par leur ampleur, prenaient la suite d’un cortège déjà assez conséquent d’exécutions collectives d’otages. » Ce jour-là, 95 otages furent passés par les armes en France : 69 au Mont-Valérien, dont Daniel Perdrigé, 13 à Caen, 9 à la Blisière, près de Châteaubriant, 4 à Fontevraud.

Daniel, arrêté le 1er avril après une dénonciation, parce qu’un tract communiste appelant à la résistance avait été trouvé dans la boite aux lettres d’une maison proche de la sienne, est incarcéré à la prison du Cherche-Midi, puis au Mont Valérien.

Comment le souvenir de ces faits est-il entretenu au plan local ?

La Gerbe, bulletin municipal, publiait en janvier 1984 le discours prononcé par Pierre Bernard, nouveau maire de Montfermeil, très à droite, élu en mars 1983, à l’occasion de la cérémonie commémorant la mort de Daniel Perdrigé. S’adressant à sa veuve, il déclarait : « Daniel PERDRIGE, votre mari, appartient aussi à l’histoire de notre ville » et ajoutait « Montfermeil peut être fière de compter dans ses rangs un héros de cette stature ». Est-ce la présence à cette cérémonie de Fernand Grenier ancien ministre communiste du général de Gaulle qui nous valut cet hommage de Pierre Bernard ?

Car le naturel est revenu au galop : actant le départ en province de Mme Perdrigé, la commémoration « d’un héros de cette stature » disait P. Bernard en 1984, est rayée en 1989 des cérémonies officielles de la commune. Avec Pierre Bernard, la rue Salvador Allende, le président socialiste chilien assassiné lors d’un coup d’Etat fasciste en 1973, reprend le nom de rue de Coubron. Papon, Touvier, et Bousquet serviteurs zélé de Pétain, pourvoyeurs des camps de la mort deviennent les nouveaux « héros ». Le maire de Montfermeil se rend même, le 25 juillet 1996, aux obsèques de Touvier, tortionnaire condamné pour crime contre l’humanité.

En 2017, à l’initiative de Xavier Lemoine, l’école maternelle Danielle Casanova, change de nom à l’occasion de sa reconstruction, plongeant dans l’oubli le souvenir de cette héroïque résistante morte en déportation. Depuis plusieurs années, lorsque chaque 11 novembre, sont rappelés les noms des victimes des guerres, celui de Daniel Perdrigé n’est plus suivi de son titre, maire de Montfermeil. Depuis 37 ans, la municipalité se refuse à commémorer le 15 décembre et renvoie autant que possible, le nom de Perdrigé dans l’anonymat.

Le devoir de mémoire est aussi malmené au plan national.

Dans la crypte du Mont-Valérien reposent 17 dépouilles de « Morts pour la France ». Parmi eux, deux compagnons de l’ordre de la Libération, rejoints le 11 novembre 2021 par Hubert Germain, une déportée, deux femmes engagées dans la Résistance, des combattants issus de l’armée régulière et des troupes coloniales – un tirailleur sénégalais, un soldat marocain, un soldat tchadien, un soldat tunisien. Tous censés représenter l’ensemble de la France combattante. Il n’y a aucun résistant communiste, ni français ni immigré.

Le maire LR d’Argenteuil vient de faire retirer le nom de Gabriel Péri qui ornait la façade de la MJC depuis 1974. Gabriel Péri député d’Argenteuil fusillé lui aussi le 15 décembre.

Le 12 décembre dernier, le Mont Valérien, haut lieu de mémoire de la Résistance, a été souillé par un tag à la fois fasciste et anti-passe sanitaire. Sur 50 mètres de long l’inscription ANTIPASS s’inscrit en grosses lettres avec deux « S » qui reprennent la graphie du sigle « SS » nazi.

De la droite à l’extrême droite, l’histoire est insultée.

Alimentée par les réseaux sociaux, relayée par certains médias et par une accumulation de déclarations publiques, la banalisation de propos racistes menace notre société, comme elle menace des citoyens agressés à cause de leur couleur de peau, de leur origine ou de leur religion.

C’est dans ce contexte délétère que le 2 décembre dernier le projet de résolution proposé par Fabien Roussel, visant à lutter contre la banalisation des discours de haine dans le débat public en rendant inéligibles les auteurs d’infractions racistes ou discriminatoires condamnés par la justice (article 34-1 de la Constitution) n’a obtenu que 22 voix sur 55 votants

Quelle image renvoie ce rejet ? Que les propos racistes relèvent de la liberté d’expression ?

Pour ce qui nous concerne, nous ne nous y résoudrons jamais. Des batailles difficiles sont toujours à mener, mais « est-ce qu’on peut avoir le droit au désespoir le droit de s’arrêter un moment ? » feignait de s’interroger Aragon. Il nous faudra faire mûrir le grain car Daniel, comme l’écrivait le poète, « ton sang versé ne peut longtemps se taire ».

V