Le 8 février 1962, lors de la dislocation d’une manifestation pacifique « contre les crimes de l’OAS et pour le droit à l’autodétermination du peuple algérien », la sauvagerie des « forces de l’ordre » aux ordres du pouvoir gaulliste a fait 9 morts. Parmi ces morts : Fanny Dewerpe, inhumée au cimetière de Montfermeil. Comme chaque année, les communistes organisent une commémoration publique sur sa tombe (voir l’intervention de Pierre Girault).
En cette année du 60ème anniversaire de ce massacre, Dominique Dellac, vice présidente du Département déléguée à la mémoire, a organisé une rencontre débat départementale réunissant historiens et témoins, ainsi qu’Alain et Désirée Frappier, auteur et autrice du roman graphique « A l’ombre de Charonne ».
Intervention de Pierre Girault
Le mardi 8 février 2022, il y aura exactement 60 ans, le massacre du métro Charonne faisait 9 morts et des centaines de blessés. C’est à la dislocation d’une manifestation pacifique que la brigade spéciale de la police, sous l’autorité du préfet de police Maurice Papon, du ministre de l’Intérieur Roger Frey et du premier ministre Michel Debré, commet une agression sauvage en se déchainant contre les participants avec une violence inouïe.
Cette manifestation avait pour mot d’ordre « contre les crimes et attentats de I’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) et pour le droit à l’autodétermination du peuple algérien »
Le 7 février, la veille, l’OAS, cette organisation criminelle avait commis dix nouveaux attentats à la bombe contre des personnalités favorables à cette autodétermination ; parmi celles-ci André Malraux, ministre de la culture, Raymond Guyot, dirigeant du Parti Communiste, Vladimir Pozner, écrivain…
La compagne de Raymond Guyot et Vladimir Pozner seront grièvement blessés, une fillette de 4 ans, Delphine Renard blessée cruellement par des éclats de verre au moment de l’attentat contre André Malraux, deviendra aveugle.
Le mardi 13 février 1962, en hommage aux victimes, de grandioses obsèques rassemblèrent un million de personnes de Ia place de Ia République au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Agir 60 ans après, c’est continuer à s’opposer aux nostalgiques de la colonisation, à ceux qui poursuivent leur haine meurtrière, comme celle de l’ex-OAS et de l’extrême droite car des dizaines de monuments et plaques commémoratives ont été mis en place par des mairies de l’extrême droite et de la droite extrême pour honorer les criminels de l’OAS.
Aujourd’hui, nous vivons une campagne électorale dominée par la résurgence des idées d’extrême droite. Raison supplémentaire pour continuer à agir afin d’obtenir que soit enfin reconnu le caractère criminel de l’agression qui provoqua le massacre du 8 février 1962, tout comme celui du 17 octobre 1961 concernant les Algériens.
Rappelons-nous : ce jeudi 8 février 1962, sur le boulevard Voltaire, des manifestants croient échapper aux coups de matraque en descendant dans le métro Charonne. Mais c’est pour s’apercevoir que les grilles ont été fermées dès le début de l’après-midi.
À 20 heures, tandis que la foule commence à se disperser, des policiers s’acharnent sur la cohue qui se presse dans l’escalier du métro. Des manifestants, assommés, sont même jetés par-dessus la rambarde sur les manifestants collés aux grilles…
Le procureur de la République écrit :
« Il convient de faire état ici du fait rapporté par certains témoins, entendus à l’enquête, qui ont indiqué avoir assisté à des actes de violence commis par quelques membres des forces de l’ordre et qui apparaissent hautement répréhensibles. Il s’agit notamment du jet d’éléments de grilles de fer, qui normalement sont fixées au pourtour des arbres de l’avenue, et de grilles d’aération du métro, qui régulièrement se trouvent au niveau des trottoirs de la chaussée. Ces pièces métalliques sont très pesantes (40 kg pour les premières, 26 kg pour les secondes). Certains témoins ont déclaré avoir vu des agents lancer des grilles sur les manifestants à l’intérieur de la bouche de métro. Ce fait paraît établi, et il est constaté que trois de ces grilles au moins ont été retrouvées après la manifestation au bas des escaliers de la bouche de métro et récupérées là par des employés de la station. »
A l’occasion de ce 60ème anniversaire, Delphine Renard, la petite fille d’il y a 60 ans, témoigne :
« Ils étaient venus pacifiquement, parce que leur honneur d’êtres humains ne pouvait plus supporter d’assister impuissants aux exactions de I’OAS. Ils n’avaient pu tolérer de voir le visage d’un enfant défiguré par les tenants d’un colonialisme jusqu’au boutiste qui semaient la terreur à coup d’assassinats. La veille, dix bombes avaient explosé à Paris. L’une d’elles était dirigée contre André Malraux, et m’a grièvement blessée, alors que j’avais quatre ans.
Le 8 février 1962, un tract émanant de plusieurs organisations de gauche appelait à un rassemblement de protestation : « […]les antifascistes ne peuvent compter que sur leurs forces, sur leur union, sur leur action. Les organisations soussignées appellent les travailleurs et tous les antifascistes de la région parisienne à proclamer leur indignation, leur volonté de faire échec au fascisme et d’imposer la paix en Algérie. »
Et l’on sait comment les policiers présents ont obéi au mot d’ordre de répression du préfet de police de la Seine, Maurice Papon, le même qui vingt ans plus tôt envoyait les enfants juifs à la chambre à gaz.
Les policiers chargent, projettent les gaz lacrymogènes, poursuivent les manifestants désarmés jusque dans le métro. Les manifestants affolés tombent les uns sur les autres, étouffant ceux du dessous ; les coups de « bidule »» pleuvent, fracassent les crânes, tandis que les grilles d’arbres jetées par les policiers s’écrasent sur les têtes. Et le désormais inévitable arrive : parmi les centaines e blessés, neuf personnes sont tuées, huit immédiatement, le neuvième meurt de ses blessures deux mois plus tard.
Jean-Pierre Bernard,
Fanny Dewerpe
Daniel Féry
Anne-Claude Godeau
Hippolyte Pina
Edouard Lemarchand
Suzanne Martorell
Maurice Pochard
Raymond Wintgens
J’ai la chance d’être là soixante ans après, eux ne sont plus là pour témoigner, fauchés dans leur histoire par l’Histoire. C’est pourquoi je me dois de les honorer, eux à qui je ne peux dire face à face ma gratitude de s’être levés pour arrêter le sang. Ils l’ont payé du leur. »